DE LA LAIDEUR EN PROFONDEUR (FEAT. ALLAIN LEPREST / ZAZA FOURNIER)

Allain Leprest chante une enfance de rejet, qui commence par la laideur, le sceau de la honte et de la culpabilité, qu’on arrive jamais à laver.  Je vous invite d’ailleur à re-découvrir ce grand auteur de la chanson française.

Un petit texte de fiction pour accompagner cette idée que la laideur est une empreinte sur un visage, qui jamais ne se perd.

 


De la laideur en profondeur

Chacun sait, les yeux fermés, placer le poignard pour se faire Hara-Kiri.

Allez mon petit Tristan, appuie sur le couteau, plus fort

Tristan…Plus personne ne m’appelle comme ça. On me donne du Titi. Tout le monde me donne du Titi. J’ai plutôt l’air d’un gros minet. Mais laid. De cette mocheté qu’on n’arrive pas à définir. Un peu comme les frontières d’un pays en guerre. Avec ma gueule en guise de tranchée à des batailles qui durent depuis trop longtemps.

Quel parcours ! À l’image de mon physique de rescapé d’accident de train.

Faut se rendre à l’évidence : si la vie me donne des coups dans les côtes, c’est pour me rappeler en permanence qu’avec ma tronche de patate tuberculeuse, je vais finir de corvée d’épluchures.

Mais qu’est-ce que je peux y faire ? Déjà à l’école, on avait fini par me mettre au fond de la classe, dans l’ombre des morveux aux visages poupons. Avec ma vue de taupe, et malgré mes lunettes, j’ai dû me résigner. J’ai quand même eu le bac, avec rattrapage.

Et puis je me suis lancé dans la vie active, espérant trouver dans le monde des adultes, la clémence que la jeunesse ne m’avait pas accordé, me condamnant à moche.

On ne m’a donné qu’un travail d’employé communal. Il s’agissait de récurer les trottoirs, balayer les allées, et ramasser les crottes qui fumaient grassement dans la fraîcheur du matin. J’en garde une haine tenace contre tous les clebs. Chaque matin, je m’appliquais à repoudrer le nez et les joues de la ville, cette vieille peau qui ne fait plus bander grand monde.

Au début, je me disais que ca ne durerait pas, que je trouverais mieux, bien mieux.

Mais mon corps m’a trahi, on a le boulot qui colle à sa trogne. Et avec mon nez biscornu, mon crâne chauve et ma bedaine remplit de bière, je ne pouvais qu’échoir à ce rôle. Celui qui consiste à torcher le cul de la société, et de rester avec une odeur de merde persistante autour de soi.

C’est à ce moment-là que ca a commencé.

D’abord des petits coups dans le ventre. J’ai cru à une gastro, mais passé deux semaines, j’ai su que c’était autre chose.

Et les coups devenaient précis. Comme des doigts qu’on enfonce dans un gant en plastique, mais à l’intérieur de mes entrailles. Les médecins n’ont rien trouvé, même au scanner. J’avalais les spafons comme des smarties.

Puis « ca » a commencé à parler. Des murmures au début. Et les borborygmes ont fini par articuler. J’ai fini par comprendre :

« Laissez-moi sortir » que ca disait.

« Sortir » que ca répétait.

Moi, j’ai rien dit de peur de passer pour un fou.

Mais ca continuait. Je faisais semblant de rien, de rien entendre. Mais ca sifflait dans mon ventre. Ca suppliait :

« Laissez-moi sortir »

Aujourd’hui, je ne tiens plus. Je te libère mon petit Titi. Gros minet te libère. Gros minable, se libère. J’ouvre avec le couteau, ca fait pas si mal finalement. C’est chaud à l’intérieur. Je suis au fond de mes tripes. Je me faufile, je navigue. Je suis à l’intérieur de ce corps. Je suis une chenille qui renaît papillon.

Le docteur me prend dans ces bras.

« C’est une petite fille » qu’il dit.

 

Epilogue en chanson ?

 

 

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